Cette année la Francophonie est mise à l’honneur au sein des Établissements Français à l’Étranger, dans la continuité du sommet organisé à Paris en septembre dernier.
L’enseignant Benjamin Boutin s’est donné pour mission de transmettre aux jeunes, l’histoire et la richesse de cet espace linguistique et culturel qui relie plus de 320 millions d’interlocuteurs sur cinq continents, dans une bande dessinée qu’il nous a fait découvrir…
Interview de Benjamin Boutin :
LDE : Pensez-vous que la bande dessinée soit un outil efficace pour sensibiliser à la Francophonie et, plus largement, aux questions culturelles et linguistiques ?
BENJAMIN BOUTIN : Tout à fait ! Lors du congrès européen de la Fédération internationale des Professeurs de français (FIPF) à Bucarest en septembre dernier, des professeurs de français roumains se sont emparés de la BD À la découverte de la Francophonie dans cette optique. En Belgique, une auteure qui est aussi enseignante s’appuie sur cette BD pour sensibiliser ses étudiants à l’histoire et aux enjeux de la Francophonie. Parfois, ce sont des parents ou des grands-parents qui l’offrent à leurs enfants. Ce sont aussi des institutions, des associations, des Alliances françaises et des lycées français qui la commandent en quantité. Bref, cette BD tout public est une manière ludique de comprendre la Francophonie et ce qu’elle nous apporte collectivement. C’est une belle histoire interculturelle et internationale qui s’écrit depuis une cinquantaine d’années. Sachons préserver cet héritage et le transmettre aux nouvelles générations !
LDE : A travers cette BD vous explorez la diversité du monde francophone. Quels aspects de cette diversité souhaitiez-vous particulièrement mettre en avant ?
BENJAMIN BOUTIN : Quand on se promène avec mes personnages dans les rues de Paris ou de Delémont (Jura suisse), en passant par les villes de Québec, Port-au-Prince (Haïti), Abidjan (Côte d’Ivoire), Port-Louis (île Maurice) et Bruxelles (Belgique), on rencontre une diversité de paysages, de langues, de cultures, de climats… On se frotte à différents parlers locaux et « parlures », à des traditions, des gastronomies, des expressions artistiques très variées. C’est une richesse ! J’ai voulu également mettre la poésie à l’honneur, avec des extraits d’Aimé Césaire, de Senghor ou encore du grand poète jurassien Alexandre Voisard. Je pense que cette diversité linguistique et culturelle est un trésor ! Elle est aussi indispensable aux équilibres de la culture que la diversité biologique l’est à ceux de la nature. Et la Francophonie en est la quintessence !

LDE : Comment avez-vous choisi les personnages historiques et fictifs qui accompagnent le lecteur ?
BENJAMIN BOUTIN : J’ai commencé par imaginer un dialogue entre deux personnages historiques qui n’ont pas vécu à la même période. J’ai donc pris un risque d’anachronisme assumé. En effet, je trouvais intéressant de faire dialogue le géographe béarnais Onésime Reclus, inventeur du mot francophonie en 1880 et partisan de la colonisation française en Afrique avec l’homme d’État, essayiste et poète sénégalais Léopold Sédar Senghor, chantre de la Négritude et du dialogue des cultures, artisan de la décolonisation. Leur fond idéologique, leurs perspectives sur le monde, sur la politique et même sur la francophonie étant si différents en vérité qu’il me paraissait passionnant de les faire dialoguer avec franchise mais toujours avec respect ! Je me suis donc plongé dans leurs œuvres respectives et me suis mis dans leur peau. La mise en dessin de ce dialogue leur a redonné vie, d’une façon extraordinaire, grâce au talent de Christophe Carmona. Nous avons décidé ensemble d’ajouter deux personnages fictifs représentant la jeunesse francophone : Virginie, la Mauricienne, Sylvain, l’Acadien et Vietnamien. Car la Francophonie, c’est aussi ce métissage culturel ! Et puis vous rencontrerez dans la bande dessinée d’autres personnages contemporains, comme l’écrivain québéco-haïtien Dany Laferrière, membre de l’Académie française.
LDE : Selon vous, quels sont les plus grands défis que doit relever la Francophonie aujourd’hui ?
BENJAMIN BOUTIN : Il y en a de nombreux, qui sont interconnectés : la paix et la sécurité humaine, le développement durable et équitable, la préservation de la diversité culturelle dans les nouvelles technologies et l’IA, la formation et l’accès à l’emploi pour les nouvelles générations, la démocratie et les droits humains… Mais comme je l’ai toujours dit, l’éducation est la mère des batailles ! Ce devrait être selon moi le secteur prioritaire de la coopération en langue française – qui intègre aussi les langues nationales. Car le français est souvent une langue d’élection, de choix, d’ouverture et de dialogue. Il est possible d’apprivoiser cette langue héritière de douze siècles de création collective, de la faire sienne, d’innover avec elle, d’entreprendre avec elle, de se réinventer et d’améliorer sa vie, avec elle !
LDE : Vous voyagez beaucoup à travers le monde, principalement autour de réseaux francophones. D’après-vous, quels rôles les établissements français de l’étranger peuvent jouer pour valoriser et faire vivre la Francophonie ?
BENJAMIN BOUTIN : Ces établissements jouent un rôle majeur pour promouvoir l’excellence éducative francophone et plurilingue, tant à destination des Français de l’étranger et de ce que j’appellerai les « Franco-Descendants » qu’à destination des jeunes du monde entier, motivés à recevoir une instruction de pointe ! Ces établissements développent des approches pédagogiques innovantes ouvertes à la culture des pays d’accueil. J’appelle ces établissements à intégrer l’enseignement de la Francophonie – en s’appuyant sur la bande dessinée A la découverte de la Francophonie, qui est une voie d’entrée ludique pouvant être utilisée comme un support pédagogique. Et pour les enfants qui n’ont pas la chance ou la possibilité d’être scolarisée par dans ces établissements d’excellence, ou bien en complément de leur cursus, je soutiens le dispositif FLAM (français langue maternelle), qui s’appuie sur un réseau de parents organisés en associations. C’est un écosystème d’apprentissage que je trouve vertueux et porteur pour la Francophonie !
LDE : Avez-vous eu des retours de lecteurs, ou une anecdote à nous partager ?
BENJAMIN BOUTIN : Je pense au courrier d’une lectrice, enseignante à la retraite vivant à Saint-Maximin, qui a beaucoup apprécié la BD et qui a été particulièrement émue par le dialogue des deux principaux protagonistes à Abidjan, alors qu’ils évoquent la colonisation. Cette lectrice française née en Algérie sait dans sa chair que la domination consubstantielle à la colonisation mène à la tragédie. Ce sont ses mots. A titre personnel, je souhaite que les relations entre ce pays et ses voisins, y compris la France s’apaisent. Nous avons chacun notre part de responsabilité. Aborder notre passé en face, se parler avec respect et aborder notre futur sur de bonnes bases, c’est-à-dire sur des bases souveraines et égalitaires, c’est la démarche qui a présidé à la renaissance de la Francophonie aux lendemains de la décolonisation, dans les années 1960 et 1970. Cette démarche n’a pas été entreprise en Algérie ; c’est regrettable mais rien n’est perdu ! Rabat et Tunis, eux, coopèrent harmonieusement avec les autres pays francophones. Ce devrait être possible aussi avec Alger. C’est en tout cas le vœu que je formule !
Si vous souhaitez organiser un projet pédagogique, entrer en contact avec l’auteur, ou simplement vous procurer la bande dessinée, vous pouvez nous contacter !